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    ICPE : ce que les professionnels de l’immobilier d’entreprise doivent absolument savoir

    L’immobilier d’entreprise est de plus en plus confronté à des enjeux environnementaux et réglementaires complexes. L’un des sujets les plus sensibles, mais encore parfois mal connu des acteurs du secteur, est celui des ICPE – Installations Classées pour la Protection de l’Environnement.

    Que ce soit lors de l’acquisition, de la mise en location, de la reconversion ou de la cession d’un site, la présence (ou l’historique) d’une ICPE peut avoir des conséquences lourdes en termes de responsabilité, de valeur du bien ou d’autorisations administratives.

    Pour les investisseurs, promoteurs, bailleurs ou utilisateurs, comprendre le cadre des ICPE est devenu essentiel pour sécuriser juridiquement et financièrement leurs opérations.

    I. Qu’est-ce qu’une ICPE ? Définition et typologie

    Une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement est une installation industrielle, agricole ou logistique susceptible de créer des risques ou des nuisances pour l’environnement, la santé ou la sécurité (bruit, pollution, déchets, incendies, etc.). Le régime des ICPE trouve son origine dans une loi de 1810, réactualisée à de nombreuses reprises, et est aujourd’hui codifié dans le Code de l’environnement, aux articles L511-1 et suivants.

    La nomenclature ICPE (décret n° 2021-1510 du 17 novembre 2021) recense plus de 1 500 rubriques, regroupant les activités soumises à classification, parmi lesquelles :
    •    Entrepôts logistiques (rubrique 1510)
    •    Activités chimiques (rubriques 1432, 4510, etc.)
    •    Installations de traitement des déchets
    •    Stockage de matières inflammables ou dangereuses

    Ces installations peuvent être soumises à trois régimes, en fonction du niveau de risque :
    •    Déclaration : procédure simplifiée (faible risque)
    •    Enregistrement : procédure intermédiaire depuis 2009
    •    Autorisation (ou autorisation environnementale) : procédure lourde, réservée aux activités les plus sensibles

    II. Cadre réglementaire applicable aux ICPE

    Le régime juridique des ICPE repose sur une logique de prévention des atteintes à l’environnement. L’État intervient via le préfet et la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) qui assurent le contrôle et l’instruction des demandes.

    Principales obligations pour l’exploitant :
    •    Déclarer ou demander l’autorisation avant mise en service
    •    Respecter des prescriptions techniques strictes (arrêtés préfectoraux ou ministériels)
    •    Mettre à jour les registres ICPE, effectuer des contrôles périodiques
    •    Notifier toute cessation d’activité et assurer la remise en état du site

    Depuis 2017, une autorisation environnementale unique a été instituée (ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017), fusionnant plusieurs démarches administratives pour simplifier les procédures.

    En cas de non-respect de la réglementation, des sanctions administratives peuvent intervenir :  mise en demeure, suspension ou fermeture du site. Au niveau de la responsabilité civile, l’entreprise peut être poursuivie pour indemniser des tiers victimes d’une pollution par exemple.

    Au niveau pénal, les auteurs d’infractions risquent de lourdes amandes, voire des peines de prison en cas d’accident ou pollution volontaire.

    III. ICPE et immobilier d’entreprise : quelles implications concrètes ?

    1. Impact sur la valorisation et la commercialisation

    La présence d’une ICPE sur un site (ou dans son historique) influence fortement :
    •    La valeur vénale du bien
    •    La capacité à attirer des locataires
    •    Le coût des assurances ou du financement bancaire

    La pollution des sols, en particulier, peut générer des obligations coûteuses de dépollution ou limiter les possibilités d’urbanisation (PLU, permis de construire).

    2. Incidence sur les projets immobiliers

    Lorsqu’un promoteur ou un investisseur souhaite développer un projet (entrepôt, usine, data center), plusieurs étapes sont sensibles :
    •    Réalisation d’un diagnostic environnemental préalable (étude de sol, rapport de situation de référence)
    •    Détection d’éventuelles pollutions antérieures
    •    Instruction des demandes d’autorisation ICPE si l’activité projetée entre dans la nomenclature

    Dans le cas de reconversion de friches industrielles, ces contraintes peuvent représenter un risque juridique et financier majeur, mais aussi une opportunité à condition de bien anticiper.

    IV. Répartition des responsabilités : exploitant, bailleur, vendeur, investisseur

    1. Obligations de l’exploitant ICPE

    L’exploitant est, par principe, pleinement responsable de :
    •    La régularité de l’exploitation
    •    L’entretien des équipements
    •    Le suivi des prescriptions réglementaires
    •    La remise en état du site en cas de cessation d’activité (article L512-6-1 du Code de l’environnement)

    Il doit également anticiper toute pollution générée par son activité et mettre en œuvre les moyens de prévention ou de réparation.

    2. Responsabilité du bailleur ou propriétaire

    Même si le bailleur n’exploite pas l’activité ICPE, sa responsabilité peut être engagée dans certaines situations :
    •    En cas de pollution des sols antérieure à l’activité
    •    S’il a contribué à la défaillance (carence, connaissance du risque, etc.)

    Le bailleur aura ainsi tout intérêt d’insérer dans le bail commercial les clause adéquates.

    3. Le rôle central du contrat de bail

    Le bail commercial ou professionnel doit clairement répartir les rôles :
    •    Clauses de déclaration ICPE par le preneur
    •    Obligation de remise en état à la charge de l’exploitant à la fin du bail
    •    Prise en charge des diagnostics et travaux
    •    Clauses de garantie ou de transfert de responsabilité

    Attention, la jurisprudence tend à protéger l’environnement et peut écarter certaines clauses abusives. Une vigilance rédactionnelle est donc essentielle.

    Le bailleur ne saurait être exonéré de son obligation de délivrance en mentionnant par exemple que « le locataire accepte de prendre en charge l'obtention de toutes les autorisations administratives éventuellement nécessaires à l'exploitation de son activité dans les locaux objet du bail », dans la mesure où l'obtention de cette autorisation est conditionnée à la mise aux normes de l'ensemble immobilier à la charge du bailleur au titre de l'obligation d'entretien général du bâtiment. Le propriétaire-bailleur engage ainsi sa responsabilité contractuelle, en louant un entrepôt dont la finalité intrinsèque première était le stockage, activité soumise à autorisation au titre du code de l'environnement, sans que celui-ci « ait fait l'objet ni de déclaration, ni de demande d'autorisation d'exploiter tant au moment de la construction que de l'installation du premier locataire ». Les sociétés locataires restent néanmoins fautives d'avoir exploité un entrepôt sans vérifier sa conformité à la réglementation environnementale pour ce faire.

    De plus, la jurisprudence judiciaire retient une responsabilité subsidiaire résiduelle du bailleur-propriétaire, notamment s’il est démontré qu’il a fait preuve de négligence ou qu’il n’est pas étranger à la pollution impactant le site (lire également en ce sens le nouvel article L. 556-3 dans le Code de l’environnement). 

    4. Obligation d'information lors de la vente d'un terrain ayant accueilli une ICPE

    a. Dispositions légales

    L'article L514-20 du Code de l'environnement impose au vendeur d'un terrain sur lequel une installation classée soumise à autorisation ou à enregistrement a été exploitée d'informer par écrit l'acheteur de cette exploitation passée. Cette obligation vise à assurer que l'acquéreur est pleinement conscient des risques environnementaux potentiels associés au terrain.
    En cas de manquement à cette obligation, l'acheteur dispose de plusieurs recours :

    •    Demander la résolution de la vente ;
    •    Exiger une diminution du prix de vente ;
    •    Obliger le vendeur à réaliser la réhabilitation du site à ses frais, si le coût de cette réhabilitation n'est pas disproportionné par rapport au prix de vente.

    b. Portée de l'obligation d'information : précisions jurisprudentielles

    La jurisprudence a apporté des éclaircissements sur l'étendue géographique et les conditions d'application de cette obligation d'information :

    Limitation aux parcelles directement concernées : Dans un arrêt du 22 novembre 2018, la Cour de cassation a jugé que l'obligation d'information ne s'applique que si une installation classée a été effectivement exploitée sur le terrain vendu. Ainsi, si l'ICPE était située sur une autre parcelle du site industriel, le vendeur n'est pas tenu d'informer l'acheteur concernant les parcelles n'ayant pas accueilli l'installation classée .

    Inclusion des parcelles intégrées dans le périmètre de l'ICPE : À l'inverse, dans un arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation a considéré que l'obligation d'information s'étend aux parcelles incluses dans le périmètre de l'installation classée, même si l'activité ne s'y déroulait pas directement. Par exemple, une parcelle servant d'entrée à une usine ou abritant une maison de gardien peut être concernée par cette obligation.

    Exclusion des installations en cours d'exploitation : Il est également établi que l'obligation d'information prévue par l'article L514-20 ne s'applique pas aux installations classées encore en activité au moment de la vente. Cette disposition concerne uniquement les installations ayant cessé leur exploitation.

    c. Implications pour les professionnels de l'immobilier d'entreprise

    Pour les acteurs de l'immobilier d'entreprise, ces précisions impliquent une vigilance accrue lors des transactions :

    Vérification de l'historique du site : Il est essentiel d'identifier si des ICPE ont été exploitées sur le terrain concerné ou à proximité immédiate, et de déterminer si ces installations ont cessé leur activité.

    Délimitation précise des parcelles : Une analyse détaillée des plans et des autorisations d'exploitation permet de savoir si les parcelles vendues étaient directement concernées par l'ICPE ou incluses dans son périmètre.

    Rédaction soignée des actes de vente : Les contrats doivent refléter fidèlement les informations relatives aux ICPE et prévoir des clauses adaptées pour couvrir les éventuels risques environnementaux.

    d. Diligences pour l’investisseur ou l’acquéreur

    Avant d’acquérir un site ICPE (ou ex-ICPE), l’acheteur doit :

    •    Mener une due diligence environnementale complète
    •    Vérifier l’état des autorisations ICPE
    •    S’assurer de la régularité de la cessation d’activité
    •    Encadrer la cession avec des clauses de garantie d’actif/passif environnementale

    Le passif environnemental peut engager l’acheteur, y compris en l’absence de faute.

    V. Points de vigilance pour les professionnels de l'immobilier d’entreprise

    ✅ Ce qu’il faut vérifier :L’activité actuelle ou passée du site est-elle classée ICPE ?
    Existe-t-il une autorisation en bonne et due forme ?
    Le site est-il inscrit à la base BASOL (sites pollués) ou BASIAS (anciens sites industriels) ?
    Quels diagnostics ont été réalisés ?
    Le bail ou l’acte de vente prévoit-il une clause de remise en état ? Une garantie ?

    📌 Voici quelques bonnes pratiques à mettre en œuvre :
    •    Faire appel à un avocat spécialisé en droit de l’environnement
    •    Travailler avec un bureau d’étude pour les diagnostics ICPE et de pollution
    •    Inclure des clauses de répartition des responsabilités précises dans les baux et actes de vente
    •    Suivre les évolutions de la nomenclature ICPE, qui est régulièrement mise à jour

    Conclusion

    L’univers des ICPE est loin de concerner uniquement les exploitants industriels. Il s’agit d’un enjeu majeur pour tous les acteurs de l’immobilier d’entreprise, qu’ils soient bailleurs, investisseurs ou utilisateurs. Un défaut d’anticipation peut se traduire par des coûts imprévus, des litiges, voire des sanctions.
    À l’inverse, une gestion proactive et rigoureuse de ces problématiques permet de valoriser un actif, sécuriser une transaction et réduire les risques juridiques. Dans un contexte de transition écologique et de durcissement des réglementations, les ICPE ne doivent plus être considérées comme une zone grise, mais comme un critère structurant de l’analyse immobilière.

    Auteur : Rémy NERRIERE - juriste-formateur en immobilier, Codirigeant de l'organisme de formation immobilier Immo-formation.fr. Ce sujet est développé dans une formation intitulée "L’immobilier d’entreprise de A à Z »".
    Pour toute information sur cette formation : contact@immo-formation.fr. Avril 2025

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