Conseils d'experts
Loi Daubié : une opportunité clé pour la reconversion des bureaux vacants
La transformation de bureaux en logements, longtemps considérée comme une niche technique réservée aux opportunistes ou aux spécialistes de la restructuration lourde, s’impose désormais comme un axe central des politiques publiques et, par ricochet, comme un nouveau terrain de jeu stratégique pour les investisseurs. La promulgation de la loi Daubié du 16 juin 2025 marque une inflexion profonde dans l’approche française de la reconversion immobilière, en réunissant dans un même texte une série de mesures juridiques, fiscales et opérationnelles qui visent à lever les principaux freins qui empêchaient jusqu’ici la massification de ces transformations. Pour l’ensemble des professionnels qui pilotent, valorisent, arbitrent ou repositionnent des actifs tertiaires, cette loi constitue une évolution majeure, capable de redéfinir durablement les stratégies d’investissement et de répondre aux mutations du marché.
Depuis plusieurs années, le segment des bureaux connaît un basculement structurel, accentué par la généralisation du télétravail, l’optimisation des surfaces par les entreprises et la montée en puissance de nouvelles exigences ESRS et ESG qui mettent sous tension les immeubles anciens. En Île-de-France, le stock de bureaux vacants dépasse aujourd’hui 6.1 millions de m² dont 1.8 millions de m2 vacants depuis plus de 4 ans, un record historique (+17% en 1 an), tandis que certains sous-marchés affichent des taux de vacance dépassant 20 %, notamment dans les secteurs où l’offre tertiaire est ancienne, énergivore ou mal desservie. Parallèlement, la demande de logements atteint un niveau critique, avec un déficit structurel estimé entre 500 000 et 800 000 unités à l’échelle nationale, sans perspective de rattrapage à court terme en raison de la contraction de la promotion immobilière et de la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette), qui réduit fortement la possibilité d’ouvrir de nouveaux fonciers.
Dans ce contexte, la loi Daubié apparaît comme une réponse pragmatique, alignée sur les objectifs de sobriété foncière, de réduction de l’artificialisation, de régénération urbaine et de recyclage du bâti existant. Mais elle va bien au-delà d’un simple cadre incitatif : elle introduit des innovations juridiques sans précédent qui modifient concrètement les règles du jeu pour les propriétaires, les exploitants, les acheteurs, les vendeurs et les collectivités locales. Elle peut être également une opportunité pour les propriétaires contraints par le décret tertiaire à effectuer de gros travaux de rénovation énergétique sur le parc ancien de bureaux : le changement de destination de l’immeuble lui permet d’échapper à ces obligations.
Essayons de synthétiser les points principaux de cette loi.
I. Le permis de construire “multi-destinations” et “multi-états” : une révolution dans la gestion des actifs
La mesure la plus structurante, et de loin la plus novatrice pour les professionnels de l’investissement, est la création d’un permis permettant d’autoriser plusieurs usages successifs d’un même bâtiment (sur une durée de 20 ans) et ceci quelles que soient les modifications du PLU qui interviendraient durant cette période. Jusqu’ici, un permis encadrait une destination fixe, et toute reconversion à horizon 5, 10 ou 15 ans supposait une nouvelle instruction administrative, souvent longue et incertaine. Désormais, un immeuble peut être conçu dès l’origine comme évolutif, et autorisé à accueillir tour à tour ou simultanément des bureaux, des logements, du coliving, des résidences étudiantes et d’autres formes de programmation.
Cette évolution change profondément la manière d’envisager la valeur d’un actif. Un immeuble tertiaire aujourd’hui difficile à louer peut être maintenu en exploitation quelques années, le temps d’optimiser le TRI ou de lisser les CAPEX, avant d’être converti en logements lorsque les conditions économiques ou urbaines seront réunies. Pour les assets managers, cela signifie que la sortie n’est plus figée au moment de l’acquisition : ils disposent désormais d’un cadre juridique qui leur permet de concevoir des plans de transformation programmée, de structurer des business plans multi-phases, et d’intégrer la réversibilité de l’usage comme un levier majeur de valorisation. Une simple notification préalable au maire serait nécessaire.
Concernant les propriétaires, des actifs jusque-là considérés comme obsolètes deviennent valorisables, car leur usage peut évoluer sans contrainte excessive. Cela repositionne des immeubles secondaires ou tertiaires datés dans une nouvelle chaîne de valeur, ouvre des opportunités inédites de mutation et élargit la typologie des acquéreurs potentiels vers les opérateurs résidentiels ou les investisseurs spécialisés dans les résidences gérées.
Concernant cette première mesure, un décret est attendu pour 2026.
2. Une dérogation au PLU qui accélère considérablement les transformations
L’un des principaux obstacles aux reconversions résidait dans la rigidité des PLU, souvent conçus à une époque où les bureaux constituaient la vocation première de nombreux quartiers (situés dans des zones dédiées aux activités économiques ou zone tertiaire). Chaque transformation nécessitait soit une modification du PLU, soit un arbitrage politique local complexe, soit une procédure dérogatoire fragile. La loi Daubié introduit désormais la possibilité, pour les communes, de déroger directement au PLU afin de permettre le passage d’une destination tertiaire à une destination de logement.
Cette faculté ne bouleverse pas seulement la procédure : elle sécurise les projets et réduit significativement le risque de refus, un point crucial pour les investisseurs institutionnels qui ne pouvaient auparavant s’engager qu’avec une forte décote ou en intégrant un niveau d’aléa élevé dans leurs prévisionnels. L’autorité compétente doit motiver obligatoirement son refus d’autorisation de dérogation, par des motifs limitativement énumérés par la loi. Les collectivités conservent toutefois un pouvoir d’appréciation, mais celui-ci s’exerce désormais dans un cadre beaucoup plus favorable à la reconversion, ce qui annonce une accélération des changements d’usage dans les secteurs bien desservis, dans les zones universitaires, ou dans les quartiers où la vacance tertiaire devient structurelle.
3. L’assouplissement du droit de la copropriété : un levier puissant pour débloquer des milliers de situations
L’obligation d’obtenir l’unanimité des copropriétaires pour transformer des locaux professionnels en logements constituait l’un des freins les plus redoutables, notamment dans les centres urbains où les immeubles sont souvent en mono-propriété relative ou dans des ensembles mixtes datant des années 1970 ou 1980. La loi Daubié remplace désormais cette exigence par une majorité simple, ce qui ouvre la possibilité de transformer des plateaux de bureaux dans des immeubles résidentiels existants, mais aussi de reconvertir progressivement des immeubles entiers de bureaux.
Concernant les propriétaires, cette mesure signifie que de nombreuses opérations diffuses, longtemps considérées comme impossibles, deviennent enfin envisageables. Les asset managers, de leur côté, gagnent un cadre juridique qui leur permet de restructurer plus facilement des patrimoines fragmentés et de valoriser des actifs partiellement vacants qui ne trouvaient plus preneurs sur le marché tertiaire.
4. Les leviers fiscaux : un soutien direct au rendement des opérations
La loi de finances pour 2025 et la LOI Daubié renforcent l’attractivité financière des opérations grâce à plusieurs incitations majeures. La première est l’abattement de 50 % sur la taxe d’aménagement pour les logements issus d’un changement de destination, ce qui réduit mécaniquement le coût de revient des opérations et améliore les marges ou la valeur de sortie. La seconde incitation, encore plus structurante pour le marché des transactions, est le taux réduit d’impôt sur les plus-values de cession, fixé à 19 % pour les immeubles de bureaux vendus en vue d’une transformation en logements, à condition de transformer l’immeuble de bureaux en logement dans un délai de 4 ans (ou 6 ans pour des opérations d’envergure). Ce dispositif incite fortement les propriétaires à arbitrer des actifs obsolètes plutôt qu’à les maintenir en exploitation sous-performante, tout en sécurisant les acquéreurs qui bénéficieront d’un actif acheté à un prix compatible avec les coûts de transformation.
Pour les vendeurs, ce mécanisme est un amplificateur de liquidité : il permet de débloquer des transactions gelées, en particulier dans les zones où le marché tertiaire est saturé. Pour les asset managers, il constitue une variable décisive dans l'analyse du TRI et dans l’arbitrage entre rénovation, réhabilitation ou reconversion.
S’ajoute à ces avantages fiscaux l’exonération de la taxe annuelle sur les bureaux en cas d’engagement du propriétaire à transformer dans les 4 ans l’immeuble tertiaire en logements. L’exonération pourra s’appliquer tout le temps que prendront les travaux de transformation dans la limite de 4 ans. Par exemple, pour un immeuble de 3 000 m² de bureaux situés à Paris intra-muros (1ère circonscription), l’exonération pendant trois ans génère une économie de près de 230 000€, soit un impact majeur sur la rentabilité de l’opération.
La commune peut également par délibération exonérer de taxe foncière pendant 5 ans les locaux à usage d’habitation principale issus de la transformation de locaux à usage de bureaux.
5. Le renforcement du cadre dédié au logement étudiant
La loi Daubié ne se limite pas aux transformations en logements classiques ; elle intègre également un volet significatif destiné à faciliter les reconversions en résidences étudiantes, un segment en tension chronique. En autorisant le CROUS à recourir à la conception-réalisation et en permettant aux PLU d’accorder des majorations de constructibilité pouvant aller jusqu'à 50 %, le législateur crée un environnement particulièrement favorable aux opérateurs spécialisés, tout en stimulant un marché d’investissement très résilient et recherché par les fonds institutionnels.
6. Les impacts stratégiques pour les acteurs de l’immobilier d’entreprise
L’ensemble de ces mesures produit un changement de paradigme pour les professionnels de la chaîne de valeur immobilière. Alors que le marché tertiaire se fragmente entre actifs prime compatibles ESG et immeubles obsolètes promis à la vacance, la loi Daubié ouvre un champ nouveau où les actifs “gris” peuvent retrouver de la valeur grâce à une stratégie de transformation programmée. Les propriétaires pourront désormais exploiter un gisement d’actifs jusqu’ici considérés comme illiquides, en les repositionnant comme produits de reconversion. Les asset managers gagneront quant à eux la capacité d’envisager des plans d’exploitation hybrides, où les usages évoluent au fil du temps, optimisant ainsi les cycles de détention et les plans de CAPEX.
Conclusion
La loi Daubié n’est pas un simple ajustement réglementaire, mais un véritable changement de modèle.
Elle simplifie, sécurise et accélère les transformations.
Elle ouvre de nouveaux gisements d’actifs.
Elle améliore les rendements et réduit les risques.
Elle place la reconversion au cœur des stratégies immobilières.
Et surtout, elle offre aux acteurs (propriétaire, asset, investisseur…) une opportunité unique : celle de transformer un stock tertiaire vieillissant en un moteur de valeur pour les dix prochaines années.
Auteur : Rémy NERRIERE - juriste-formateur en immobilier, Codirigeant de l'organisme de formation immobilier Immo-formation.fr. Ce sujet est développé dans une formation intitulée "L’immobilier d’entreprise de A à Z »".
Pour toute information sur cette formation : contact@immo-formation.fr. décembre 2025